La Gazette du 13ème – Journal de quartier

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Gazette 72 Errance et légèreté

Posted by lagazou sur 21 juin 2009

Un certain art du tissage

 Par où commencer pour parler de cet homme, de cet auteur ; comment s’y prendre pour retranscrire ses réflexions sur le XIIIe, son corps à corps avec cet arrondissement ?

 Certes, il y aurait l’approche biographique : depuis plusieurs générations déjà, une partie de la famille Evrard vit ici. Franck Evrard, lui, y arrivé avec ses parents en mai 1968 et, depuis, ne l’a plus quitté. Avec eux, il a tout d’abord emménagé dans la tour Corvisart – « au-dessus de la Bièvre » – puis au fil des années, des étapes de la vie, il a sillonné l’arrondissement en habitant dans différents quartiers : Place d’Italie – de nouveau dans une tour – au-dessus de Galaxie, pardon d’Italie 2 – « un lieu de rencontres extraordinaire pour tout type de population –, puis square LeGall – « un lieu magique », à la fois sauvage et domestiqué, qu’il n’a cessé de fréquenter – sans oublier rue de la Glacière, et enfin rue de la Santé, à une adresse impaire qui, en flirtant avec le XIVe, le met dans un rapport de fidélité/infidélité avec le XIIIe.

Une scolarité à Rodin, toujours au coeur de l’arrondissement donc, puis des échappées continues et régulières ailleurs, avec des études dans les « beaux quartiers », le Ve et le VIe, et maintenant un poste de chargé de cours à Paris VII ; mais dans quatre ans, son département va devoir déménager pour rejoindre l’université Paris Diderot dans la ZAC Paris Rive Gauche…

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On pourrait également tenter d’approcher Franck Evrard et sa relation structurante (il tiquera probablement sur l’emploi de cet adjectif) avec le XIIIe en citant le nom de quelques-uns des auteurs qu’il y a rencontrés, côtoyés ou croisés et qui, eux-mêmes, vivent ou ont vécu ici : Fatima Gallaire, André Lagrange, Jean-Pierre Roulet, Simone Balazard, Fajardie, en rappelant qu’il a, entre autres activités de ces dernières années, dirigé un atelier d’écriture au Centre d’animation Daviel, participé à diverses revues littéraires du cru, et qu’il collabore aujourd’hui au Café littéraire de notre arrondissement crée à l’initiation de Jacqueline Victor.

Et tous ces éléments seraient loin d’être suffisants si l’on oubliait de préciser que Franck Evrard revendique avec une fougue pleine de tendresse et de respect sa filiation avec ses deux maîtres, ou du moins l’influence déterminante qu’ils ont exercée sur lui : Roland Barthes – « Ses écritures : un délice, un bonheur » – et son directeur de thèse, Jean-Pierre Richard – « Cette chaleur, cette corporalité ». Ou encore si l’on omettait d’évoquer qu’il se sent « évidemment » beaucoup plus proche d’auteurs de polar comme Alain Demouzon – qui se démarque par «  une espèce d’errance » – et, dans un autre registre, de Gilles Deleuze – qui privilégie « les lignes de fuite aux points que l’on voit disparaître les uns après les autres » – plutôt que de Léo Malet ou encore de Frédéric Fajardie – qui, tous deux, s’inscrivent plus dans le champ de « la nostalgie, de la recherche de traces, de l’unité ». Et bien sûr, si l’on ne soulignait pas que le fil rouge volontaire de ses travaux et de ses recherches est de donner ou de rendre leurs lettres de noblesse (ceci étant une expression consacrée, on fermera un œil sur son décorticage dans le contexte présent) à des genres délaissés dans nos contrées (le théâtre, la nouvelle, la poésie), à des sujets « un peu à part », a priori hors du champ littéraire (les lunettes, le strip-tease ou le XIIIe dans la littérature policière), et à des « thématiques singulières ayant trait à la représentation du corps et à l’érotisme ».

Il serait alors éventuellement possible de vous faire ressentir par écrit l’interaction naturelle et évidente entre Franck Evrard et le XIIIe, un arrondissement « qui se réinvente sans cesse, un quartier toujours en mouvement […] où, de plus, rien n’est vraiment cloisonné ». Un lieu qui ne propose/présente pas « de traces extraordinaires », qui ne présente pas « de grosse mémoire historique ». Un lieu sans pathos. Un lieu où il est assez aisé d’observer les différences sociales et sociologiques en jeu dans le temps et l’espace. Un lieu en forme de mosaïque au fort pouvoir d’intégration, « qui brasse de façon spectaculaire mais non visible » des habitants très différents qui jamais ne le colonisent, des endroits divers « qui n’aimantent pas l’attention » de manière figée. Un lieu qui offre, pour se rendre de A à B, de multiples parcours. Un lieu propice à des changements si ce n’est incongrus, du moins étonnants comme par exemple l’apparition, côte à côte, de deux magasins de luxe adossés à la Cité Daviel ou encore la construction et l’essor de la ZAC Rive Gauche – « Un endroit merveilleux, d’une très grande beauté [mais qui me pose] un gros problème… Je n’arrive pas à m’y rendre, à y avoir accès. Que faire de cette ZAC qui est une espèce d’enclave, […] qui ne colle pas encore à l’arrondissement. Le lien tarde à se faire, mais je pense qu’il se fera… un jour. »

Enfin, un lieu riche « en lignes imaginaires de communautés » qu’il faut savoir prendre le temps de découvrir avec un désir gourmand. Un lieu qui invite à une curiosité sans cesse renouvelée, « à une démarche d’écrivain », même si Franck Evrard se définit plutôt comme essayiste.

Un lieu fertile en mythologies rêveuses, fantasmées – « Chaque matin, [en entendant le bruit de l’eau qui ruisselle], me dire que c’est la Bièvre qui sort de Paris alors que c’est un robinet souterrain que l’on ouvre… ». Autant de caractéristiques, de qualités qui font que, ici, « on est sans arrêt à la dérive, voire même dans une sorte d’exil. Je le vis comme une chance cette espèce de déracinement que provoque le XIIIe, cette espèce d’errance rassurante [qui, tout compte fait, permet] d’être toujours dans un cheminement. C’est cette légèreté du XIIIe qui est attachante. »

M. Fuchs

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